Installé sur son siège, Gatko scrutait les alentours d'un œil distrait. Il était … dissipé. Cet emplacement, il l'avait choisi pour sa vue. Sa position surélevée offrait au Quarien un aperçu de tout ce qui se tramait dans le club. Enfin, presque tout. L'AfterLife n'était pas un de ces petits bars miteux où les clients se bousculaient au comptoir, non, c'était un véritable palace, une niche grouillante de vies. Un homme seul ne saurait endiguer cette pléiade de vermines, ce qui justifiait la présence des videurs éparpillés aux quatre coins du club. Et pourtant le va-et-vient des clients n'échappait pas à l’œil avisé d'Aria T'Loak. Du haut de sa loge, l'Asari menait son club d'une main de fer. C'était une femme d'exception. Le genre de personnages hauts en couleur qui n'existent qu'en série limitée. Sa vue, imposante, suffisait à refréner les ardeurs des criminels les plus virulents d'Oméga. Aucune altercation, aucune rumeur ne pouvait naître au sein de cette fourmilière sans que l'Asari n'en prenne connaissance. En comparaison, le voyeurisme de Gatko frisait le ridicule. D'ailleurs, maintenant qu'on en parlait …

« Gatko. GATKO ! Hé, l'homme-tuyaux ! » Grogna son voisin de table en agitant un deck de Quasar sous son nez. Tu envisages de jouer ou je rafle la mise tout d'suite ? A moins, bien sûr, que tu n'préfères entamer une partie avec la donzelle. »
D'un mouvement de tête, le Krogan désigna la danseuse que notre anti-héros lorgnait impudemment. C'était une Asari aux formes harmonieuses dont la mission consistait principalement à agiter son postérieur – fort agréable à regarder, soit dit en passant – au rythme d'une musique électro. Depuis combien de temps Gatko la reluquait-il ? Il n'en avait pas la moindre idée. Une chose est sûr : s'il ne portait pas un casque, vous verriez un filet de bave pendre de son menton. Un portait d'une élégance inégalable.
« Ça dépend … tu crois qu'elle peut brasser les cartes entre ses seins ?
- Je parlais pas d'Quasar. »
Gatko ricana. Il se redressa sur sa chaise et étira ses membres encore engourdis. Ses yeux s'arrêtèrent alors sur les cartes posées sur la table, et il tenta de se remémorer la partie, sans grand succès. Il retourna discrètement ses cartes ; est-ce que les règles l'autorisaient ? Il n'avait jamais vraiment saisi le principe de ce jeu.

Lorsque Gatko prit conscience de son inévitable défaite, il balaya la table avec son bras, envoyant jeu et consommations à l'autre bout de la salle, et ce avec la même grâce et la même subtilité qu'un Elcor dans un magasin de porcelaine.
« Ce jeu est nul. Eh ! J'en connais un autre, tu vas rire, ça se joue avec un dé Quarien. T'en aurais pas un dans ta poche par hasard ? Six faces, multicolore, avec un …
- Gatko, coupa le Krogan dont la jauge d'agressivité avait sensiblement augmenté. T'es le plus mauvais joueur qui existe sur cette planète. Tu comptes régler la mise, ou tes dettes de jeu sont rangées avec ton sens de l'honneur ? Dans le trou du cul des Systèmes Terminus ? »
Le Quarien grinça des dents. Il fit mine de consulter l'écran incorporé dans l'avant-bras de sa combinaison, et prit un air contrarié.
- Écoute, Nnek … J'ai un rendez-vous très important … avec un freelance. Les affaires sont les affaires, j'ai des OP en cours, tu connais le topo. On en reparle après ?
Gatko glissa de son siège et prit ses jambes à son cou avant que le Krogan n'ait le temps de protester. Il connaissait bien Nnek et ne craignait pas de représailles de sa part. C'était un chic type dans le fond. Il le harcèlerait pendant quelques jours puis l'oublierait. Toutefois, avec les mercenaires Krogan, on est jamais trop prudent. Gatko s'efforçait de maximiser la distance qui les séparait quand il percuta un client de plein fouet.